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Etudiant à Sciences Po Rennes, passionné de musique, je publie ici mes textes, reports de concert, découvertes. Ancien membre du Cercle Des Elèves de Sciences Po Rennes (2009/2010). Membre des rédacteurs du programme et des quotidiens du festival des Bars en Trans (2008/2009/2010).

jeudi 17 mai 2012

We've Got a Long Way to Go

J'ai déjà écrit auparavant que la Pologne, quoi qu'on en dise, se fait peu à peu une place dans le monde de la mode. En matière de consommation, d'abord. En matière de vivier de mannequins ensuite : la taille moyenne des polonaises excède d'une dizaine de centimètres celle des françaises. Ce qui donne aux filles des jambes interminables, raison suffisante pour n'importe quel mâle hétéro de se rendre au premier défilé venu.


Au-delà de ces considérations nombre de designers s'acharnent pour faire exister une culture de la mode en Pologne, et c'est tout à leur honneur.

Il y a quelques semaines se tenait le Fashion Weekend de Varsovie dans les hangars réaffectés du Minska 25. Les journalistes du secteur avaient un peu boudé l'événement (la Fashion Week de Lodz se tenant la semaine suivante), mais on avait pu apercevoir les travaux de jeunes créateurs polonais de façon agréable.

L'événement avait lieu dans deux hangars. Le premier était rempli de stands de présentation ; le second, dédié aux défilés, présentait de part et d'autre la piste des chaises Philippe Starck. L'organisation avait mis les moyens cette occasion, et le résultat avait été bon. Peu de retard entre les présentations, un accueil bien pensé, un travail somme toute professionnel.


Des créateurs prometteurs.


En bref, on avait pu voir :
- La collection de Lana N'Guyen, très rose, très pastel, très fifille, avec beaucoup de dentelles. Pour le coup ça faisait très lookbook d'asiatique, mais le chien ne faisant pas des chats, on avait été moyennement surpris du cliché.
- Un univers médical, clinique chez Malgorzata Czudak, qui m'avait laissé de marbre. J'ai toujours été sceptique quant à l'élégance du néoprène. Mais bon, on laissera passer, c'était cool d'avoir essayé.
- La présentation "Marrakech" de Elie Tahari était assez peu audacieuse, mais respectait une certaine idée. On l'aurait bien imaginé en collection d'été chez Esprit.
- Rina Cossacks et Anna Drabczynska m'ont laissé peu de souvenirs en dehors de la présence d'un dj et d'un batteur s'occupant de façon bruyante de l'illustration sonore dont on se serait bien passé.
- Ewa Szabatin, qui partait avec un certain handicap (ancienne danseuse, ayant participé à Dancing With the Star, ça sentait le mauvais produit dérivé), avait montré le travail le plus intéressant avec une collection très new-wave, en drapés proches du corps, dans une ligne très gothique. Un des Ghost de Nine Inch Nails et un morceau de Massive Attack avaient intelligemment utilisés pour accompagner le défilé

Une réussite. J'en étais sorti impressionné.




Attendez la suite. 
Je suis vulgaire si je veux, c'est moi qui écris.





Le flyer de la soirée de Rodrigo de la Garza. Forcément, avec du verre sur les lèvres, ça ne peut pas faire énormément de bien. On aurait du s'y attendre.




C'était donc avec une certain impatience que j'attendais hier soir la présentation homme de Rodrigo de la Garza, designer mexicain implanté en Pologne et qui avait fait défiler Zombie Boy, l'homme aux tatouages de squelette, lors d'une de ses collections passées. Du gros buzz, un truc d'apparence assez cool, le tout au très 'posh' Space Club.


Arrivée à 21h00 dans le club où doit avoir lieu la présentation. Pas grand monde, le show doit avoir lieu plus tard. On s'installe et on observe le décor. Au milieu de la piste de danse, une Porsche, puisque le constructeur automobile est un des sponsors de la soirée. Ca manque un peu d'élégance, mais bon, on n'est ni à Londres, ni à New-York, ni à Paris, les choses ne se font pas toutes seules, donc on comprend bien que pour organiser ce genre d'événement, il faut un peu d'argent et que tout sponsor est donc bon à prendre.
On tolère.


21h30, Rodrigo de la Garza, jovial, passe à travers le club, toujours vide, pour accueillir des amis. Je bloque sur son blazer rouge. En France, un mec avec une veste pareille, il pourrait me vendre des télés, des machines à laver, des frigos, mais je me passerais volontiers de ses conseils en matière de mode. 
Au final, en Pologne, ce sera pareil.


22h00, le club se remplit, la sono est à fond, on ne s'entend plus, bref, je reprends une vodka-tonic puisqu'il n'y a que cela à faire en attendant. On jette un oeil aux écrans où défilent les noms des sponsors et on note une certaine laideur dans le logo du créateur à l'honneur. Quand on vend des vestes qui valent un demi smic français, on doit pouvoir se permettre d'éviter de créer son logo à partir de la tablette de Word. 
C'est curieux.


23h00, on attend toujours. Quatre nanas en sous-vêtements pénètrent dans la Porsche. Pas eu le temps de bien les voir, la salle est trop obscure. Autour de moi des filles maquillées comme des camions volés prennent place avant de voir le spectacle. On m'avait dit que c'était un club classe. 
Si j'avais su, j'aurais mis mon body à paillettes pour me fondre dans la masse.


23h30, j'en ai ras le bol. Deux heures qu'on attend. Qu'ils commencent.


23h35, le trailer de présentation de Rodrigo de la Garza est lancé sur les écrans géants. On y voit Zombie Boy en blazer, Zombie Boy en hoodie, et Zombie Boy en chemise, sur fond de Highway to Hell. Le choix de la musique craint, et au-delà il semblerait que le travail du créateur se résume à avoir fait enfiler des fringues à un mec recouvert de tatouages. Je ne sais pas pour vous, mais je n'ai jamais enfilé un mec recouvert de tatouages pour m'habiller. Ni enfilé un mec couvert de tatouages, d'ailleurs.
Des filles saoules obstruent l'entrée des mannequins qui tardent à arriver.
La collection, appelée "Les Quatre Saisons" est un fourre-tout sans aucune trame et aucune logique. En réfléchissant très fort, on retrouve des shorts à rayures de chez Pull and Bear, des tee-shirts à strass façon Ed Hardy, un trench rouge qui était en vente chez Zara il y a de ça trois mois, des pantalons trop courts, des chemises mal taillées et des mannequins qui portent leurs propres chaussures, sales et trouées pour certains ...






Tee-shirt disponible chez h&m pour 5€. Ou pour 80€ chez De la Garza. Lubrifiant vendu séparément. 




Des filles, de toute évidence amies des modèles, hurlent à chaque fois que leur chouchou passe devant leur table.Un peu comme votre mère au spectacle de fin d'année organisé par l'école primaire (ce qui était déjà gênant à l'époque). J'écarquille les yeux, reprends une gorgée de vodka en me disant que ça doit être moi. Mais non. Non, on a vraiment de la petite fripe à la qualité mauvaise et aux prix exorbitants sous les yeux. Mon dernier souvenir d'une telle célébration du mauvais goût doit dater de la tecktonik. Je reste coi.
Mais c'est qu'ils applaudissent, les cons !






Trench déjà disponible chez Zara la saison précédente pour le quart du prix de celui-ci. 
On notera le pantalon taillé trop court pour le mannequin qui laisse intelligemment la cheville respirer. 
Astuce : Si votre travail est pourri, détournez l'attention par l'ajout de pectoraux et d'adbos. Infaillible.


Je me retourne et jette un oeil au type au dessus de mon épaule. Les cheveux en brosse au gel, un blazer à rayures de maquereaux albanais, lui et moi on doit être en parfait désaccord sur un paquet de trucs, à commencer par la question de l'élégance. De la Garza vient saluer son public, quasi unanime dans la connerie et applaudissant à tout rompre. Il s'applaudit d'ailleurs lui-même. Ceci dit, à sa place, j'aurais fait pareil, sinon je n'aurais pas été sur d'entendre la moindre félicitation. 
Il fait le signe des cornes en direction de la foule comme s'il était à un concert de métal, parce qu'il est vrai qu'avec un tel foutage de gueule et autant d'assurance on peut se demander s'il n'est pas dans la continuité des Sex Pistols. 
Quatre mannequins repassent avec les dernières tenues portées, et là, transition, les quatre filles jusque là enfermées dans la Porsche en sortent, mettant fin au défilé par une chorégraphie dignes des Pussycat Dolls. Je pensais qu'on avait déjà atteint un certain stade dans la vulgarité, mais là je reste scotché. Les filles se sont maquillé à la truelle, je ne vois pas d'autre explication. Ca été d'ailleurs très con de les laisser dans une Porsche noire, à coup sur elles ont foutu du fond de teint partout sur les sièges. Une caméra de la télé polonaise, de l'alcool, des filles qui se dandinent à moitié à poil sans raison devant une bagnole, je soupçonne à ce moment là Berlusconi d'essayer de s'implanter en Pologne.
La chorégraphie s'arrête, et là, de l'autre côté de la salle, dans mon dos, au même moment, un groupe de rock - avec un saxophone - commence à jouer.
Vous pensiez que Tokio Hotel, Kamel Ouali et Marc Levy avaient déjà tué la culture ? Naïfs que vous êtes, on ne se gênera pas pour tirer sur l'ambulance.
C'est trop pour moi, je prends la fuite.






Ca aura été long

Je ne sais pas quel aurait été l'accueil d'un telle présentation en France. Je ne sais pas s'il existe un "bon goût français". Je ne sais pas si c'est le cadre polonais qui m'a autant surpris. Ce que je sais, c'est que les gens avec qui je me suis retrouvé hier sont symptomatiques d'une population qui s'est embourgeoisée en voulant prétendre à des codes qu'elle ne maîtrise pas et qui se gargarise de son importance en pratiquant l'onanisme intellectuel collectif plutôt que le jugement critique.
J'ai tout de même été rassuré sur un aspect. Beaucoup d'étudiants en France et en Pologne, (notamment ceux participants au cours du Fashion Weekend de Varsovie évoquée au début de ce papier) espèrent travailler dans les milieux artistiques, culturels, dans la représentation, la communication, dans ces activités qui "ne servent à rien" mais qui font vendre et font manger. Moi le premier, sûrement. 
Face à de telles acclamations pourtant non méritées, j'ai été rassuré. Il doit être possible de s'en sortir. Et si une chance nous est un jour donnée, nous ferons nos preuves, nous nous battrons pour rendre un travail bien fait. Bien mieux fait que ce que certains osent présenter. Et nous en récolterons les lauriers.


Ars longa, Vita brevis

samedi 24 mars 2012

Les Femmes, ça fait pédé ...




La plupart des pédés vous le diront, il existe chez eux un sixième sens, le 'gaydar', cette faculté à sentir si un autre mec est homo. Technologie oblige, cette règle n'échappe pas à facebook et autres réseaux sociaux. Mes potes gays sont capables de passer des heures sur internet à mater des mecs et à se prononcer sur leur orientation. En général, après quelques secondes d'observation des photos de profil, quelques « alors, pédé ? Pas pédé ? » et autres « hum, ça sent quand même bien la passive », la confirmation définitive arrive en regardant les goût musicaux de l'individu en question.
« Mylène Farmer, Lady Gaga, Madonna ».
Sérieusement, autant se promener avec une plume dans le cul à la Gay Pride.



Etrange passion d'une part de la communauté homo, plus généralement queer, pour ces chanteuses pop à succès. Je me suis toujours demandé ce qui amenait des mecs à avoir cette adoration pour ces filles généralement sexuellement plutôt attirantes – enfin, à une certaine époque – alors que eux ne semblent ressentir aucune forme d'attraction sur ce plan pour ces artistes. Au-delà des trois précédemment citées, on retrouve pêle-mêle Kylie Minogue, Katy Perry, ou encore Britney. La liste est, bien entendu, longue et non-exhaustive.



Le succès de ses icônes généralement à la base gâtées par la nature s'explique sûrement par plusieurs facteurs : 
Le premier, évident, est que les gens beaux ou avec un style affirmé attirent. La séduction passe par le physique, et sa présentation, le look.

On rencontre dans la musique de ces chanteuses des compositions pop, très accessibles ; ici, aucun besoin de maîtriser des pans entiers de l'histoire du rock ou d'avoir passé des heures à décortiquer une intro, un refrain, afin d'en saisir le sens et l'émotion. On a affaire à une écoute facile, bien souvent qualifiée à assez juste titre de vulgaire par les mélomanes puristes. Néanmoins, aux vues du succès de ces icônes qui vendent des millions des disques, on est bien obligé de reconnaître que leur démarche fait preuve d'efficacité.

Loin des idoles kitch de la communauté LGBT telles que Dorothée ou Chantal Goya, qui incarnent une certaine innocence, ces 'nouvelles' icônes pop représentent un univers fantasmé dans lequel se reconnaît son public. Symboles d'une image forte de la femme, elles incarnent sans doute une forme de courage, à travers l'affirmation de leur sexualité, jouant sur les codes, trashs et faussement ingénues. Cependant, on ne peut vendre aux gays "du cul pour du cul". Si la sexualité des ces icônes est exacerbée par provocation et pour se démarquer, dans le but final de vendre, elle a bien moins d'impact sur une communauté qui n'éprouve pas fondamentalement de désir pour elles. Le jeu de la surenchère ne marche pas toujours. Alizée et les sous-entendus de ses chansons ont bien plus de succès que Clara Morgane au sein de la communauté LGBT. On peut vendre du cul, mais seulement avec style ; sans cela, aucun moyen de perdurer. C'est rassurant d'une certaine façon.

La multiplicité des champs artistiques dans lesquels évoluent ces chanteuses aide à diffuser leur image, les produits culturels qu'elles vendent, et leurs messages. Les collaborations entre ces artistes et les plus grandes marques de haute couture en fait état. Entre Madonna et Jean-Paul Gaultier, Lady Gaga et Alexander Mc Queen, puis Thierry Mugler, la liste est longue. Ces artistes touchent à tout jouent à la fois la carte de l'omnipotence (« je peux toucher à n'importe quel domaine ») et celle de l'omniprésence («Vous n'écoutez pas ma musique mais vous me retrouverez quand même sur les podiums»). Elles rassemblent d'autant plus que leur message a un large auditoire, et dans des domaines culturels réputés proches des communautés LGBT.

Ultime point, et pas le moindre, qui explique cet attachement entre le public gay et ces icônes pop, celui du soutien politique : dernière affaire en date, celle de Madonna, appelée par une partie de ses fans gays à annuler les dates de sa prochaine tournée en Russie suite à la mise en place de lois homophobes dans le pays. Certaines artistes ont bâti leur carrière avec le soutien d'une fanbase gay fidèle, et il apparaît comme légitime qu'elles leur rendent la pareille. C'est sûrement à cela qu'on reconnaît une relation durable.



mardi 6 mars 2012

Modern Girls & Old Fashion Men



Anita vous dit bonjour ...




Il m'arrive parfois de m'éloigner des bars et autres discothèques. Je vous le jure.
Récit d'une journée en tant qu'observateur sur une séance de photos pour mannequins polonaises ...


Je descends du tramway avec la valise ; juste devant se trouve Marta, qui jette rapidement un coup d'oeil de l'autre côté de la rue. « Tomek est déjà là, on est un peu en retard ». Les présentations faites, le photographe prend le pas et se dirige vers un bâtiment situé à une cinquantaine de mètres, d'allure sombre. L'immeuble est dans la plus pure tradition de l'architecture communiste : droit, gris, d'une laideur froide. Nous sommes à Praga, la rive droite de la Vistule, le quartier populaire de Varsovie, celui déconseillé aux touristes, le bastion des hooligans de la Legia.
Tomek tourne à droite, pousse une large porte cochère rouge, nous entrainant sous un porche. Une nouvelle porte s'ouvre, et l'on découvre l'endroit tant attendu. Un couloir, avec une cuisine aménagée, une cafetière, une salle de maquillage avec miroirs et évier, et sur la droite, une grande salle baignée d'une lumière blanche. Des spots, des bâches de différentes couleurs, un ventilateur géant dans un coin, des parapluies pour la lumière, quelques chaises, un canapé et une table basse. Le studio, ancien cinéma des employés de Wedel, est parfait, d'une propreté irréprochable malgré la neige sale qui commence à fondre à l'extérieur.


La mode en Pologne tient une place plus importante qu'on ne pourrait le croire. Le pays connait une forte croissance économique, et voit apparaître une nouvelle bourgeoisie dont les codes et le comportement se calquent sur ceux des pays de l'Europe de l'Ouest. Au-delà de l'image des gamines russes de treize ans envoyées dans les castings de mannequins, il existe une culture de la mode qui se forme peu à peu. La Fashion Week de Lodz n'a certes rien de comparable avec celle de Paris, et la question du goût et de la consommation dans le domaine vestimentaire est très récente, mais force est de constater qu'il existe bien une culture de la mode qui émerge en Pologne.
Pour vous faire une idée, jetez un oeil à Lookbook, le facebook des bloggers et hispters de l'industrie vestimentaire, et (non sans une certaine surprise) vous découvrirez nombre de posts de Varsovie, Cracovie, Poznan ou encore Lublin.


Anita est déjà là. Je n'arrive pas à lui donner un âge. Elle est jolie, c'est certain, cela se remarque même sans maquillage et avec son manteau. Deux autres filles sont ici pour cette séance photo. Elles sont trois des nouveaux visages d'une agence de mannequins polonais qui souhaite leur faire faire des portfolios. La maquilleuse étant absente, les filles s'occuperont de leur maquillage elles-mêmes, Tomek, des photos, et Marta sera leur styliste. Elle sort de la valise les premières tenues, me les tend, et je prends part au travail, les disposant sur les cintres présents. La deuxième aspirante mannequin arrive, s'en suivent les mêmes rituels : observation des corps, choix des tenues, des accessoires, des chaussures ; maquillage, essayage, puis photos.

Le visage d'Anita s'est transformé ; habillée, maquillée, son attitude devient bien plus aggressive. Elle pose, sensuellement. Ses cheveux raides châtains, ses yeux bleus et ses lèvres pulpeuses en font une beauté fatale. L'adolescente des minutes précédentes se transforme en jeune femme sûre d'elle. Jambes tantôt croisées, tantôt décroisées, mains dans les cheveux, elle joue la carte du désir, en parfaite séductrice. Ses jambes, comme celles des autres modèles, me paraissent interminables. J'essaye de me concentrer, d'arrêter de les fixer, mais je dois reconnaître que la tâche est beaucoup plus difficile que prévue.

Chaque tenue demande au moins une demi-heure de photos, dont seules quelques-unes seront au final gardées. Pour des séances faites dans le cadre de publicités, prendre la pose peut durer très longtemps. Cela peut paraître ironique, mais ne surtout pas bouger, d'autant plus sur des talons de douze centimètres, ça devient vite épuisant.

Idalia essaye quelques tenues choisies par Marta, qui décide de garder la chemise blanche et le noeud qu'elle portait en arrivant. Son look est moins adolescent. Plus grande que sa collègue, d'une beauté plus naturelle aux traits poupons, son registre est celui de l'ingénuité. Il y a quelque chose d'aérien dans ses gestes, une élégance certaine. On l'imagine très facilement dans une ambiance proche de celle de l'imagerie de Cacharel : couleurs pastels, vent léger, lumière douce. Ses longs cheveux blonds y sont pour beaucoup. Au moment où elle doit passer devant l'objectif de Tomek, je fais remarquer que sa chemise est légèrement froissée et demande si l'on ne devrait pas la repasser : « Oh, on le fera, mais sur Photoshop ! » me lance Marta.

Anita revient se changer, toujours très pudiquement ; les filles ne posent pas trop de question quant à ma présence, Marta me présente comme son assistant, mais je ne suis pas autorisé à rester dans la pièce lorsqu'elles se changent. Elles l'apprendront plus tard, elles doivent comprendre que je ne suis pas là en voyeur, mais en tant qu'observateur. Les professionnelles confirmées se montrent bien moins prudes, apparemment.
Les dernières retouches se font après quelques photos. Quelque chose ne va pas dans la tenue d'Idalia. Je demande l'autorisation à Marta, puis Tomek et je me mets à quatre pattes pour réajuster les combat boots de la jeune fille, amusée. « Plus ouvertes, on n'est pas là pour te faire des poteaux à la place des jambes. Comme ça, ça affinera la cheville ! ». Je jure en français. Ca fait impression sur les mannequins, et fait doucement rire Marta. J'apparais comme crédible en assistant, pas tant par mon look ou mes avis que par ma langue maternelle.

Tomek a besoin de faire quelques photos avec le ventilateur. Je suis donc chargé de l'orienter et de régler la puissance du vent. Je frissonne et plains la pauvre fille qui prend l'air en pleine face. J'aurais contracté une bronchite en trente secondes. Elle, elle reste concentrée. Son regard est incroyable.



Idalia ne peut trouver de robes assez longues. C'est le problème avec des jambes qui dépasse le mètre.

Une pause-déjeuner au fast food du coin pour Marta et moi, et lorsque nous revenons le dernier mannequin est arrivée. Roksana a l'air très jeune. Elle est souriante. D'une bonne humeur incroyable. Elle rit. Rien à voir avec l'apparence froide des deux filles précédentes. Le même rituel se poursuit. Son sourire mutin, ses dents de la chance, chaque détail fait rayonner son visage. Je l'observe faire, jouer avec l'objectif, avec une beaucoup de grâce. A ce moment, Lonely Head de Goldfrapp résonne au fond de ma tête. Elle me fait penser aux premières scènes de Virgin Suicide de Sofia Coppola. Innocence et pureté. 


Lorsqu'elle s'assoit sur un des tabourets, un écrou cède. Je me moque d'elle gentiment, lui faisant remarquer qu'elle n'a pas vraiment un physique à casser des chaises. Elle répond en rigolant que son régime à une pomme par jour depuis une semaine ne marche pas des masses. Elle est malheureusement sérieuse. Cela m'effraye un peu, ayant une anatomie proche de celle des filles, à savoir un bon mètre quatre-vingt pour une grosse cinquantaine de kilos, et m'étant toujours battu avec ce corps d'adolescent chétif à coup de malbouffe et de gavage. Il m'est impossible d'imaginer qu'on puisse s'imposer un tel traitement. On ne pousse pas les filles à suivre de telles diètes, elles le font toutes seules, d'après ce que je comprends. La compétition est rude. Elle regrette l'époque où elle faisait quarante neuf kilos, deux ans auparavant. Elle faisait déjà un mètre quatre vingt, à quinze ans. Plus le temps passe, et plus les corps se forment.

Marta me glisse en aparté que malgré la beauté de Roksana, elle ne fera sûrement jamais de défilé. La raison en est simple : son tour de poitrine approche des quatre-vingt dix centimètres, empêchant les tenues serrées de se refermer. « Et puis, avec le temps, la gravité n'aidera pas. Mais elle a de fortes chances pour le secteur de la lingerie. Elle serait parfaite chez Victoria's Secret. » Tu m'étonnes. C'est bien dommage, elle est adorable, et est celle des trois qui semblait y prendre le plus de plaisir. C'est aussi celle qui se prenait le moins au sérieux, et qui avait peut-être le plus conscience que tout ceci n'est qu'éphémère.

Les mannequins polonais suivent les mêmes règles impitoyables que les autres, quels que soient les clichés véhiculés sur les "beautés des pays de l'Est". Régimes drastiques, culte de la jeunesse, compétition acharnée d'où un besoin d'égo important pour se faire sa place. Les filles ne sont pas tant des êtres que des cintres de chairs, de sang, et de sueur, au service d'une industrie colossale. La plupart ne deviennent jamais des tops, et quand bien même elles perceraient un peu dans ce milieu, après avoir travaillé à temps plein à courir les castings et à s'entretenir, la retraite est jeune : vingt-cinq, vingt-six ans. Une fois qu'elles deviennent des femmes et que l'âge peut se deviner (et l'on parle pas de rides, mais de la possibilité de deviner leur âge), il leur faut se reconvertir. Stylistes, photographes, elles continuent d'évoluer dans ce domaine, la plupart ne pouvant trouver le temps de suivre des études en parallèle de leur travail. De ce point de vue, l'industrie de la mode est assez tolérante en matière de parcours. C'est aussi un retour normal vis-a-vis de jeunes gens qui sont près à tout sacrifier pour elle.

Anita, Idalia et Roksana ont respectivement seize, dix-sept et dix-sept ans. On les retrouvera peut-être sur quelques podiums, ou dans les magazines, d'ici quelques mois, quelques années. Espérons le pour elles, en tout cas.




Roksana, sans aucun maquillage, à 18h00.


Photos par Tomek Debski
Modèles : Anita Chmielewska , Idalia Zbrzezniak , Roksana Nica
 Agence : Eastern Models

Nb : Je n'ai pas les numéros de téléphone des filles, 
et je ne sais pas non plus si elles ont des soeurs aînées. 
Désolé les mecs.