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Etudiant à Sciences Po Rennes, passionné de musique, je publie ici mes textes, reports de concert, découvertes. Ancien membre du Cercle Des Elèves de Sciences Po Rennes (2009/2010). Membre des rédacteurs du programme et des quotidiens du festival des Bars en Trans (2008/2009/2010).

jeudi 17 mai 2012

We've Got a Long Way to Go

J'ai déjà écrit auparavant que la Pologne, quoi qu'on en dise, se fait peu à peu une place dans le monde de la mode. En matière de consommation, d'abord. En matière de vivier de mannequins ensuite : la taille moyenne des polonaises excède d'une dizaine de centimètres celle des françaises. Ce qui donne aux filles des jambes interminables, raison suffisante pour n'importe quel mâle hétéro de se rendre au premier défilé venu.


Au-delà de ces considérations nombre de designers s'acharnent pour faire exister une culture de la mode en Pologne, et c'est tout à leur honneur.

Il y a quelques semaines se tenait le Fashion Weekend de Varsovie dans les hangars réaffectés du Minska 25. Les journalistes du secteur avaient un peu boudé l'événement (la Fashion Week de Lodz se tenant la semaine suivante), mais on avait pu apercevoir les travaux de jeunes créateurs polonais de façon agréable.

L'événement avait lieu dans deux hangars. Le premier était rempli de stands de présentation ; le second, dédié aux défilés, présentait de part et d'autre la piste des chaises Philippe Starck. L'organisation avait mis les moyens cette occasion, et le résultat avait été bon. Peu de retard entre les présentations, un accueil bien pensé, un travail somme toute professionnel.


Des créateurs prometteurs.


En bref, on avait pu voir :
- La collection de Lana N'Guyen, très rose, très pastel, très fifille, avec beaucoup de dentelles. Pour le coup ça faisait très lookbook d'asiatique, mais le chien ne faisant pas des chats, on avait été moyennement surpris du cliché.
- Un univers médical, clinique chez Malgorzata Czudak, qui m'avait laissé de marbre. J'ai toujours été sceptique quant à l'élégance du néoprène. Mais bon, on laissera passer, c'était cool d'avoir essayé.
- La présentation "Marrakech" de Elie Tahari était assez peu audacieuse, mais respectait une certaine idée. On l'aurait bien imaginé en collection d'été chez Esprit.
- Rina Cossacks et Anna Drabczynska m'ont laissé peu de souvenirs en dehors de la présence d'un dj et d'un batteur s'occupant de façon bruyante de l'illustration sonore dont on se serait bien passé.
- Ewa Szabatin, qui partait avec un certain handicap (ancienne danseuse, ayant participé à Dancing With the Star, ça sentait le mauvais produit dérivé), avait montré le travail le plus intéressant avec une collection très new-wave, en drapés proches du corps, dans une ligne très gothique. Un des Ghost de Nine Inch Nails et un morceau de Massive Attack avaient intelligemment utilisés pour accompagner le défilé

Une réussite. J'en étais sorti impressionné.




Attendez la suite. 
Je suis vulgaire si je veux, c'est moi qui écris.





Le flyer de la soirée de Rodrigo de la Garza. Forcément, avec du verre sur les lèvres, ça ne peut pas faire énormément de bien. On aurait du s'y attendre.




C'était donc avec une certain impatience que j'attendais hier soir la présentation homme de Rodrigo de la Garza, designer mexicain implanté en Pologne et qui avait fait défiler Zombie Boy, l'homme aux tatouages de squelette, lors d'une de ses collections passées. Du gros buzz, un truc d'apparence assez cool, le tout au très 'posh' Space Club.


Arrivée à 21h00 dans le club où doit avoir lieu la présentation. Pas grand monde, le show doit avoir lieu plus tard. On s'installe et on observe le décor. Au milieu de la piste de danse, une Porsche, puisque le constructeur automobile est un des sponsors de la soirée. Ca manque un peu d'élégance, mais bon, on n'est ni à Londres, ni à New-York, ni à Paris, les choses ne se font pas toutes seules, donc on comprend bien que pour organiser ce genre d'événement, il faut un peu d'argent et que tout sponsor est donc bon à prendre.
On tolère.


21h30, Rodrigo de la Garza, jovial, passe à travers le club, toujours vide, pour accueillir des amis. Je bloque sur son blazer rouge. En France, un mec avec une veste pareille, il pourrait me vendre des télés, des machines à laver, des frigos, mais je me passerais volontiers de ses conseils en matière de mode. 
Au final, en Pologne, ce sera pareil.


22h00, le club se remplit, la sono est à fond, on ne s'entend plus, bref, je reprends une vodka-tonic puisqu'il n'y a que cela à faire en attendant. On jette un oeil aux écrans où défilent les noms des sponsors et on note une certaine laideur dans le logo du créateur à l'honneur. Quand on vend des vestes qui valent un demi smic français, on doit pouvoir se permettre d'éviter de créer son logo à partir de la tablette de Word. 
C'est curieux.


23h00, on attend toujours. Quatre nanas en sous-vêtements pénètrent dans la Porsche. Pas eu le temps de bien les voir, la salle est trop obscure. Autour de moi des filles maquillées comme des camions volés prennent place avant de voir le spectacle. On m'avait dit que c'était un club classe. 
Si j'avais su, j'aurais mis mon body à paillettes pour me fondre dans la masse.


23h30, j'en ai ras le bol. Deux heures qu'on attend. Qu'ils commencent.


23h35, le trailer de présentation de Rodrigo de la Garza est lancé sur les écrans géants. On y voit Zombie Boy en blazer, Zombie Boy en hoodie, et Zombie Boy en chemise, sur fond de Highway to Hell. Le choix de la musique craint, et au-delà il semblerait que le travail du créateur se résume à avoir fait enfiler des fringues à un mec recouvert de tatouages. Je ne sais pas pour vous, mais je n'ai jamais enfilé un mec recouvert de tatouages pour m'habiller. Ni enfilé un mec couvert de tatouages, d'ailleurs.
Des filles saoules obstruent l'entrée des mannequins qui tardent à arriver.
La collection, appelée "Les Quatre Saisons" est un fourre-tout sans aucune trame et aucune logique. En réfléchissant très fort, on retrouve des shorts à rayures de chez Pull and Bear, des tee-shirts à strass façon Ed Hardy, un trench rouge qui était en vente chez Zara il y a de ça trois mois, des pantalons trop courts, des chemises mal taillées et des mannequins qui portent leurs propres chaussures, sales et trouées pour certains ...






Tee-shirt disponible chez h&m pour 5€. Ou pour 80€ chez De la Garza. Lubrifiant vendu séparément. 




Des filles, de toute évidence amies des modèles, hurlent à chaque fois que leur chouchou passe devant leur table.Un peu comme votre mère au spectacle de fin d'année organisé par l'école primaire (ce qui était déjà gênant à l'époque). J'écarquille les yeux, reprends une gorgée de vodka en me disant que ça doit être moi. Mais non. Non, on a vraiment de la petite fripe à la qualité mauvaise et aux prix exorbitants sous les yeux. Mon dernier souvenir d'une telle célébration du mauvais goût doit dater de la tecktonik. Je reste coi.
Mais c'est qu'ils applaudissent, les cons !






Trench déjà disponible chez Zara la saison précédente pour le quart du prix de celui-ci. 
On notera le pantalon taillé trop court pour le mannequin qui laisse intelligemment la cheville respirer. 
Astuce : Si votre travail est pourri, détournez l'attention par l'ajout de pectoraux et d'adbos. Infaillible.


Je me retourne et jette un oeil au type au dessus de mon épaule. Les cheveux en brosse au gel, un blazer à rayures de maquereaux albanais, lui et moi on doit être en parfait désaccord sur un paquet de trucs, à commencer par la question de l'élégance. De la Garza vient saluer son public, quasi unanime dans la connerie et applaudissant à tout rompre. Il s'applaudit d'ailleurs lui-même. Ceci dit, à sa place, j'aurais fait pareil, sinon je n'aurais pas été sur d'entendre la moindre félicitation. 
Il fait le signe des cornes en direction de la foule comme s'il était à un concert de métal, parce qu'il est vrai qu'avec un tel foutage de gueule et autant d'assurance on peut se demander s'il n'est pas dans la continuité des Sex Pistols. 
Quatre mannequins repassent avec les dernières tenues portées, et là, transition, les quatre filles jusque là enfermées dans la Porsche en sortent, mettant fin au défilé par une chorégraphie dignes des Pussycat Dolls. Je pensais qu'on avait déjà atteint un certain stade dans la vulgarité, mais là je reste scotché. Les filles se sont maquillé à la truelle, je ne vois pas d'autre explication. Ca été d'ailleurs très con de les laisser dans une Porsche noire, à coup sur elles ont foutu du fond de teint partout sur les sièges. Une caméra de la télé polonaise, de l'alcool, des filles qui se dandinent à moitié à poil sans raison devant une bagnole, je soupçonne à ce moment là Berlusconi d'essayer de s'implanter en Pologne.
La chorégraphie s'arrête, et là, de l'autre côté de la salle, dans mon dos, au même moment, un groupe de rock - avec un saxophone - commence à jouer.
Vous pensiez que Tokio Hotel, Kamel Ouali et Marc Levy avaient déjà tué la culture ? Naïfs que vous êtes, on ne se gênera pas pour tirer sur l'ambulance.
C'est trop pour moi, je prends la fuite.






Ca aura été long

Je ne sais pas quel aurait été l'accueil d'un telle présentation en France. Je ne sais pas s'il existe un "bon goût français". Je ne sais pas si c'est le cadre polonais qui m'a autant surpris. Ce que je sais, c'est que les gens avec qui je me suis retrouvé hier sont symptomatiques d'une population qui s'est embourgeoisée en voulant prétendre à des codes qu'elle ne maîtrise pas et qui se gargarise de son importance en pratiquant l'onanisme intellectuel collectif plutôt que le jugement critique.
J'ai tout de même été rassuré sur un aspect. Beaucoup d'étudiants en France et en Pologne, (notamment ceux participants au cours du Fashion Weekend de Varsovie évoquée au début de ce papier) espèrent travailler dans les milieux artistiques, culturels, dans la représentation, la communication, dans ces activités qui "ne servent à rien" mais qui font vendre et font manger. Moi le premier, sûrement. 
Face à de telles acclamations pourtant non méritées, j'ai été rassuré. Il doit être possible de s'en sortir. Et si une chance nous est un jour donnée, nous ferons nos preuves, nous nous battrons pour rendre un travail bien fait. Bien mieux fait que ce que certains osent présenter. Et nous en récolterons les lauriers.


Ars longa, Vita brevis