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Etudiant à Sciences Po Rennes, passionné de musique, je publie ici mes textes, reports de concert, découvertes. Ancien membre du Cercle Des Elèves de Sciences Po Rennes (2009/2010). Membre des rédacteurs du programme et des quotidiens du festival des Bars en Trans (2008/2009/2010).

mardi 6 mars 2012

Modern Girls & Old Fashion Men



Anita vous dit bonjour ...




Il m'arrive parfois de m'éloigner des bars et autres discothèques. Je vous le jure.
Récit d'une journée en tant qu'observateur sur une séance de photos pour mannequins polonaises ...


Je descends du tramway avec la valise ; juste devant se trouve Marta, qui jette rapidement un coup d'oeil de l'autre côté de la rue. « Tomek est déjà là, on est un peu en retard ». Les présentations faites, le photographe prend le pas et se dirige vers un bâtiment situé à une cinquantaine de mètres, d'allure sombre. L'immeuble est dans la plus pure tradition de l'architecture communiste : droit, gris, d'une laideur froide. Nous sommes à Praga, la rive droite de la Vistule, le quartier populaire de Varsovie, celui déconseillé aux touristes, le bastion des hooligans de la Legia.
Tomek tourne à droite, pousse une large porte cochère rouge, nous entrainant sous un porche. Une nouvelle porte s'ouvre, et l'on découvre l'endroit tant attendu. Un couloir, avec une cuisine aménagée, une cafetière, une salle de maquillage avec miroirs et évier, et sur la droite, une grande salle baignée d'une lumière blanche. Des spots, des bâches de différentes couleurs, un ventilateur géant dans un coin, des parapluies pour la lumière, quelques chaises, un canapé et une table basse. Le studio, ancien cinéma des employés de Wedel, est parfait, d'une propreté irréprochable malgré la neige sale qui commence à fondre à l'extérieur.


La mode en Pologne tient une place plus importante qu'on ne pourrait le croire. Le pays connait une forte croissance économique, et voit apparaître une nouvelle bourgeoisie dont les codes et le comportement se calquent sur ceux des pays de l'Europe de l'Ouest. Au-delà de l'image des gamines russes de treize ans envoyées dans les castings de mannequins, il existe une culture de la mode qui se forme peu à peu. La Fashion Week de Lodz n'a certes rien de comparable avec celle de Paris, et la question du goût et de la consommation dans le domaine vestimentaire est très récente, mais force est de constater qu'il existe bien une culture de la mode qui émerge en Pologne.
Pour vous faire une idée, jetez un oeil à Lookbook, le facebook des bloggers et hispters de l'industrie vestimentaire, et (non sans une certaine surprise) vous découvrirez nombre de posts de Varsovie, Cracovie, Poznan ou encore Lublin.


Anita est déjà là. Je n'arrive pas à lui donner un âge. Elle est jolie, c'est certain, cela se remarque même sans maquillage et avec son manteau. Deux autres filles sont ici pour cette séance photo. Elles sont trois des nouveaux visages d'une agence de mannequins polonais qui souhaite leur faire faire des portfolios. La maquilleuse étant absente, les filles s'occuperont de leur maquillage elles-mêmes, Tomek, des photos, et Marta sera leur styliste. Elle sort de la valise les premières tenues, me les tend, et je prends part au travail, les disposant sur les cintres présents. La deuxième aspirante mannequin arrive, s'en suivent les mêmes rituels : observation des corps, choix des tenues, des accessoires, des chaussures ; maquillage, essayage, puis photos.

Le visage d'Anita s'est transformé ; habillée, maquillée, son attitude devient bien plus aggressive. Elle pose, sensuellement. Ses cheveux raides châtains, ses yeux bleus et ses lèvres pulpeuses en font une beauté fatale. L'adolescente des minutes précédentes se transforme en jeune femme sûre d'elle. Jambes tantôt croisées, tantôt décroisées, mains dans les cheveux, elle joue la carte du désir, en parfaite séductrice. Ses jambes, comme celles des autres modèles, me paraissent interminables. J'essaye de me concentrer, d'arrêter de les fixer, mais je dois reconnaître que la tâche est beaucoup plus difficile que prévue.

Chaque tenue demande au moins une demi-heure de photos, dont seules quelques-unes seront au final gardées. Pour des séances faites dans le cadre de publicités, prendre la pose peut durer très longtemps. Cela peut paraître ironique, mais ne surtout pas bouger, d'autant plus sur des talons de douze centimètres, ça devient vite épuisant.

Idalia essaye quelques tenues choisies par Marta, qui décide de garder la chemise blanche et le noeud qu'elle portait en arrivant. Son look est moins adolescent. Plus grande que sa collègue, d'une beauté plus naturelle aux traits poupons, son registre est celui de l'ingénuité. Il y a quelque chose d'aérien dans ses gestes, une élégance certaine. On l'imagine très facilement dans une ambiance proche de celle de l'imagerie de Cacharel : couleurs pastels, vent léger, lumière douce. Ses longs cheveux blonds y sont pour beaucoup. Au moment où elle doit passer devant l'objectif de Tomek, je fais remarquer que sa chemise est légèrement froissée et demande si l'on ne devrait pas la repasser : « Oh, on le fera, mais sur Photoshop ! » me lance Marta.

Anita revient se changer, toujours très pudiquement ; les filles ne posent pas trop de question quant à ma présence, Marta me présente comme son assistant, mais je ne suis pas autorisé à rester dans la pièce lorsqu'elles se changent. Elles l'apprendront plus tard, elles doivent comprendre que je ne suis pas là en voyeur, mais en tant qu'observateur. Les professionnelles confirmées se montrent bien moins prudes, apparemment.
Les dernières retouches se font après quelques photos. Quelque chose ne va pas dans la tenue d'Idalia. Je demande l'autorisation à Marta, puis Tomek et je me mets à quatre pattes pour réajuster les combat boots de la jeune fille, amusée. « Plus ouvertes, on n'est pas là pour te faire des poteaux à la place des jambes. Comme ça, ça affinera la cheville ! ». Je jure en français. Ca fait impression sur les mannequins, et fait doucement rire Marta. J'apparais comme crédible en assistant, pas tant par mon look ou mes avis que par ma langue maternelle.

Tomek a besoin de faire quelques photos avec le ventilateur. Je suis donc chargé de l'orienter et de régler la puissance du vent. Je frissonne et plains la pauvre fille qui prend l'air en pleine face. J'aurais contracté une bronchite en trente secondes. Elle, elle reste concentrée. Son regard est incroyable.



Idalia ne peut trouver de robes assez longues. C'est le problème avec des jambes qui dépasse le mètre.

Une pause-déjeuner au fast food du coin pour Marta et moi, et lorsque nous revenons le dernier mannequin est arrivée. Roksana a l'air très jeune. Elle est souriante. D'une bonne humeur incroyable. Elle rit. Rien à voir avec l'apparence froide des deux filles précédentes. Le même rituel se poursuit. Son sourire mutin, ses dents de la chance, chaque détail fait rayonner son visage. Je l'observe faire, jouer avec l'objectif, avec une beaucoup de grâce. A ce moment, Lonely Head de Goldfrapp résonne au fond de ma tête. Elle me fait penser aux premières scènes de Virgin Suicide de Sofia Coppola. Innocence et pureté. 


Lorsqu'elle s'assoit sur un des tabourets, un écrou cède. Je me moque d'elle gentiment, lui faisant remarquer qu'elle n'a pas vraiment un physique à casser des chaises. Elle répond en rigolant que son régime à une pomme par jour depuis une semaine ne marche pas des masses. Elle est malheureusement sérieuse. Cela m'effraye un peu, ayant une anatomie proche de celle des filles, à savoir un bon mètre quatre-vingt pour une grosse cinquantaine de kilos, et m'étant toujours battu avec ce corps d'adolescent chétif à coup de malbouffe et de gavage. Il m'est impossible d'imaginer qu'on puisse s'imposer un tel traitement. On ne pousse pas les filles à suivre de telles diètes, elles le font toutes seules, d'après ce que je comprends. La compétition est rude. Elle regrette l'époque où elle faisait quarante neuf kilos, deux ans auparavant. Elle faisait déjà un mètre quatre vingt, à quinze ans. Plus le temps passe, et plus les corps se forment.

Marta me glisse en aparté que malgré la beauté de Roksana, elle ne fera sûrement jamais de défilé. La raison en est simple : son tour de poitrine approche des quatre-vingt dix centimètres, empêchant les tenues serrées de se refermer. « Et puis, avec le temps, la gravité n'aidera pas. Mais elle a de fortes chances pour le secteur de la lingerie. Elle serait parfaite chez Victoria's Secret. » Tu m'étonnes. C'est bien dommage, elle est adorable, et est celle des trois qui semblait y prendre le plus de plaisir. C'est aussi celle qui se prenait le moins au sérieux, et qui avait peut-être le plus conscience que tout ceci n'est qu'éphémère.

Les mannequins polonais suivent les mêmes règles impitoyables que les autres, quels que soient les clichés véhiculés sur les "beautés des pays de l'Est". Régimes drastiques, culte de la jeunesse, compétition acharnée d'où un besoin d'égo important pour se faire sa place. Les filles ne sont pas tant des êtres que des cintres de chairs, de sang, et de sueur, au service d'une industrie colossale. La plupart ne deviennent jamais des tops, et quand bien même elles perceraient un peu dans ce milieu, après avoir travaillé à temps plein à courir les castings et à s'entretenir, la retraite est jeune : vingt-cinq, vingt-six ans. Une fois qu'elles deviennent des femmes et que l'âge peut se deviner (et l'on parle pas de rides, mais de la possibilité de deviner leur âge), il leur faut se reconvertir. Stylistes, photographes, elles continuent d'évoluer dans ce domaine, la plupart ne pouvant trouver le temps de suivre des études en parallèle de leur travail. De ce point de vue, l'industrie de la mode est assez tolérante en matière de parcours. C'est aussi un retour normal vis-a-vis de jeunes gens qui sont près à tout sacrifier pour elle.

Anita, Idalia et Roksana ont respectivement seize, dix-sept et dix-sept ans. On les retrouvera peut-être sur quelques podiums, ou dans les magazines, d'ici quelques mois, quelques années. Espérons le pour elles, en tout cas.




Roksana, sans aucun maquillage, à 18h00.


Photos par Tomek Debski
Modèles : Anita Chmielewska , Idalia Zbrzezniak , Roksana Nica
 Agence : Eastern Models

Nb : Je n'ai pas les numéros de téléphone des filles, 
et je ne sais pas non plus si elles ont des soeurs aînées. 
Désolé les mecs.

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